Article
publié le 3 juin 2004 |
|
Dans
son numéro de juin 2004, Ciel et Espace a publié un article important sur le Service d'Expertise des Phénomènes Rares Aérospatiaux
(SEPRA). Le 31 mai, son directeur, Alain Cirou, est venu en parler au micro d'Europe 1, lors du journal d'actualités de la
mi-journée présenté par Yves Calvi. Cette subite médiatisation du SEPRA, de la part d'un journal qui n'avait jusqu'alors pas
manifesté d'intérêt pour ce service, est une surprise. Mais celle-ci se révèle être très mauvaise à l'examen des informations
rapportées.
Ciel
et Espace est la revue mensuelle de l'Association Française d'Astronomie (AFA). La grande qualité de ses articles en ont fait
le magazine de référence en matière d'astronomie. Publié à plus de 40. 000 exemplaires, il est la preuve que l'on peut vulgariser
l'astronomie auprès du grand public sans pour autant la galvauder. Ciel et Espace bénéficie donc d'un crédit et d'une autorité
incontestables. Il n'est pas sûr qu'il les conserve intacts après cette mauvaise farce qui s'est jouée en deux temps.
« Le CNES enterre les ovnis »
Tel
est le titre de l'article de Jean-François Haït, chef de rubrique de la revue. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il
n'est pas neutre et qu'il tranche avec la tonalité habituelle de la revue, empreinte de prudence et de modération. L'article,
bien écrit et documenté, est ensuite déroulé sur trois pages. On le quitte avec l'idée essentielle que le Centre National
d'Etudes Spatiales (CNES) abandonne l'étude des ovnis parce que Jean-Jacques Vélasco est allé trop loin.
Bien
sûr, l'argumentaire comporte d'autres tiroirs (une activité en baisse, l'anonymat du comité scientifique, la baisse du nombre
des PAN …) mais l'argument central repose bien sur une relation de cause à effet entre les prises de position de Jean-Jacques
Vélasco et la disparition du SEPRA.
Pour
le lecteur néophyte, l'affaire est entendue et logique. Ceci le conforte dans son opinion généralement sceptique et négative
sur la question des OVNI. Le CNES a d'autant plus raison de mettre fin à la plaisanterie qu'elle est financée par le contribuable,
comme ne manque pas de le préciser Jean-François Haït.
Mais
la présence d'un grand nombre de termes excessifs et à connotation péjorative retient l'attention du lecteur vigilant. Pourquoi
un vocabulaire suggestif et des termes marqués dans un article à prétention scientifique ? C'est souvent le signe d'intentions
dissimulées.
De
fait, une rapide vérification des principales informations de l'article révèle qu'il y a un sérieux problème :
- Non,
le SEPRA ne vient pas d'être fermé mais a été transformé depuis janvier 2004.
- Non,
Jean-Jacques Vélasco n'a pas été dessaisi de l'étude des PAN. Il n'a pas changé de bureau et les dossiers sont toujours sous
sa responsabilité.
- Non,
il n'y a pas de relation de cause à effet entre la fin organique du SEPRA et le livre de Jean-Jacques Vélasco. La première
est d'ailleurs bien antérieure au second.
- Non,
ce n'est pas la fin de l'étude des PAN au sein du CNES.
Telles
sont les informations obtenues par le journaliste Olivier Bonnefon auprès du directeur de la communication du CNES, Arnaud
Benedetti. Alors quoi ? Monsieur Benedetti tiendrait-il un double langage ? Il convient de lire attentivement l'article de
Jean-François Haït.
- Jean-François
Haït n'écrit pas que le Sepra a été transformé ni qu'il a été fermé. Il choisit des termes autrement plus forts et suggestifs,
bien éloignés des réalités administratives et institutionnelles : Le CNES enterre les ovnis / le Sepra disparaît
/ l'agence.. a décidé de le supprimer. Pouvait-il ignorer qu'il s'agissait d'un changement et non de la fin de
l'étude des PAN ? Non. Pouvait-il ne pas savoir que Jean-Jacques Vélasco restait aux commandes ? Pas davantage.
- Il
ne précise pas une seule fois que la prétendue suppression du SEPRA n'est pas récente, alors qu'il restitue la chronologie
précise des autres transformations et changements. L'emploi systématique et inapproprié du présent révèle soit la nécessité
de se faire offrir un Bescherelle à Noël, soit de vouloir transformer une information ancienne en scoop journalistique.
- Il
n'ose pas affirmer que le SEPRA a été fermé à cause des positions exprimées par Jean-Jacques Vélasco dans son dernier livre.
Prudent, il le suggère : … les prises de position expliquent sans doute sa disparition. Cependant, après avoir cité
un passage du livre il ajoute « Cette fois c'en est trop pour le CNES ».
- L'expression
« c'en est trop » est bien peu scientifique mais elle permet d'induire l'idée de faute professionnelle et de la faire résonner
dans les propos d'Arnaud Benedetti : « Nous ne cautionnons aucune interprétation. Ce livre ne nous engage pas. » Jean-Jacques
Vélasco aurait-il commis l'imprudence de s'exprimer au nom du CNES ou avec la casquette d'ingénieur de l'agence ? Non, mais
Jean-François Haït omet de mentionner ce que Jean-Jacques Vélasco lui a dit et répété pendant les quatre heures de leur entrevue
: il s'exprime à titre privé et ses positions n'engagent que lui.
Ce
n'est donc pas à Monsieur Benedetti qu'il faut demander des explications. Ce n'est pas non plus vers le CNES qu'il faut se
tourner pour trouver l'origine de certaines idées induites dans l'article :
- La gabegie financière : En 27 ans d'existence, qu'ont fait réellement le Sepra et son prédécesseur
financés par le contribuable ?
- L'inutilité
des documents produits par le GEPAN : des documents traitant surtout de problèmes méthodologiques. A se demander si
l'auteur a lu les notes d'information et les notes techniques.
- La réduction annoncée de l'activité des PAN à une peau de chagrin : Elle ne sera peut-être pas complètement
supprimée.
- L'inutilité scientifique du GEPAN puis du SEPRA qui n'auraient donc servi qu'à calmer l'opinion ?
La
désagréable impression que procure l'analyse de l'article est renforcée par l'usage d'un vocabulaire dépréciant :
- Ce service a toujours été controversé - Son bilan scientifique semble bien maigre - Incompétence,
accusent ses détracteurs - minuscule service - l'information pourrait paraître anecdotique - PAN
D qui constituent quelques pour cent des cas (en vérité plusieurs : plus de 13 %) - Paris-Match et VSD friands
d'ovni
Est-ce
parce que l'image a un pouvoir de suggestion plus grand que celui des mots que l'article est agrémenté d'une composition graphique
soignée ? Dans un paysage vert lavis, le SEPRA se crashe dans un amas de tôles froissées portant son sigle. Dans le ciel,
astres, ballon, météore et autres objets énigmatiques, flottent à proximité de documents américains déclassifiés et réduits,
par ce voisinage, au rang des sources de méprise.
Que
d'artifices utilisés pour un article scientifique et quelle ampleur donnée à une information qui pourtant, selon Jean-François
Haït, pourrait paraître anecdotique. Cela étonne, et pas seulement les ufologues. Arnaud Benedetti s'est dit lui-même très
surpris par l'article. Quand le journaliste Olivier Bonnefon lui a demandé s'il le trouvait tendancieux, il a répondu oui.
Certains,
cependant, ont estimé que l'article n'était pas orienté. Pourtant, ces mêmes personnes se sont inquiétées de la disparition
des archives du SEPRA à la lecture de l'article, preuve qu'elles ont crû à la disparition subite et immédiate annoncée par
Jean-François Haït.
«
Le SEPRA vient de fermer parce que son directeur s'est mis à croire aux OVNI »
L'article
de Jean-François Haït est donc un faux scoop et une vraie manipulation de l'information, dans la mesure où le directeur de
la communication du CNES a déclaré à Olivier Bonnefon que ce n'était pas la fin des activités PAN et que Jean-Jacques Vélasco
restait en place. Mais la mayonnaise ne prend pas. Dans les pages du journal Sud Ouest du 30 mai, Olivier Bonnefon dégonfle en effet l'histoire. On se dit alors que Ciel et Espace va corriger le tir ou adopter
un profil bas. Erreur. Dès le lendemain de la parution de l'article d'Olivier Bonnefon, le directeur de la rédaction de Ciel
et Espace, Alain Cirou, monte au créneau. Au micro d'Europe 1, dont il est consultant, pendant le journal de la mi-journée
présenté par Yves Calvi, il enfonce le clou. Le message est limpide : le CNES vient de fermer le SEPRA parce que son directeur
s'est mis à croire aux OVNI. Les circonvolutions de Jean-François Haït sont laissées au vestiaire car, à l'heure de la digestion
des auditeurs, il faut faire court et clair.
Alain
Cirou se fend quand même d'une petite introduction : « les OVNI sont un sujet difficile qui oppose deux types de personnes
: les rationalistes d'un côté, rigoureusement classés dans le côté scientifique, et, de l'autre côté, plutôt des croyants,
en tout cas des gens qui militent pour une idée exclusive qu'il existe une présence indicible en tout cas d'intelligences
extraterrestres qui viennent nous visiter. » Voilà pour la leçon de rationalité scientifique. Les scientifiques qui s'intéressent
à la question apprécieront cette mise au purgatoire et cette disqualification.
Vient
ensuite l'attaque frontale délivrée sur un ton sirupeux pour expliquer la fermeture du SEPRA : « Et puis surtout, je pense
que c'est son directeur, qui n'était plus que le seul employé du service, qui s'est mis, entre guillemets, à croire aux OVNI.
» Alain Cirou a beau employer des guillemets, c'est bien avec des mots assassins qu'il charge le directeur du SEPRA sans même
oser le nommer.
En
quelques phrases, Alain Cirou vient de formuler sans détour tout ce que Jean-François Haït avait subtilement suggéré. Lancée
à gros sabots, cette seconde charge a le mérite de lever les derniers doutes. L'article de Jean-François Haït ne relevait
pas d'une erreur ni d'une initiative individuelle. L'homme de médias qu'est Alain Cirou sait bien ce qu'il fait en accentuant
et en portant le message devant une audience de plusieurs millions d'auditeurs.
Ce
que dit Cirou paraît tellement énorme que Yves Calvi se montre dubitatif : « Vous vous rendez compte de ce que vous nous
expliquez. Vous nous dites que l'on vient de fermer ce service parce que la personne à qui on l'avait confié, entre guillemets,
croyait à l'existence des OVNI. »
De
fait, la désinformation relève ici de l'exploit. Avec 3 allégations en 1, c'est encore plus fort que les produits ménagers
vantés par les publicités.
- Le
SEPRA vient de fermer
- Son
directeur a basculé dans le camp des croyants
- La
fermeture est une conséquence logique au « dérapage » de Jean-Jacques Vélasco et à la publication de son livre.
C'est
énorme mais la messe est dite. Le principal intéressé, Jean-Jacques Vélasco, n'a même pas été consulté ni informé. Drôle d'éthique
pour des journalistes. Cela ne ressemble guère aux pratiques de la rédaction d'Europe 1. L'intervention d'Alain Cirou aurait-elle
été organisée au dernier moment et dans l'urgence ?
Il
faut aussi souligner l'élégance du procédé et la franchise de leurs auteurs. Après Jean-François Haït qui n'a même pas envoyé
l'article à Jean-Jacques Vélasco comme cela est pourtant l'usage, et comme l'exige la politesse après avoir été reçu longuement
au domicile de l'interviewé, c'est Alain Cirou qui n'ose pas citer le nom de celui qu'il charge et ridiculise, ni ne donne
les références de son livre.
POURQUOI
?
Après
avoir dressé ce constat désolant, il faut trouver des explications au « déraillement » de Ciel et Espace. L'erreur est exclue.
Cette revue regroupe trop de compétences et de qualités pour persister et signer face à de tels errements journalistiques.
Par scientisme ou rationalisme idéologique ? Les OVNI incarneraient l'ombre menaçante de l'irrationnel guettant nos sociétés
en crise et il faudrait donc répudier la question, la bouter hors de ce fleuron institutionnel et de cette autorité scientifique
qu'est le CNES. L'argument de la prophylaxie intellectuelle paraît cependant bien maigre pour rendre compte du prétendu décès
de l'activité des PAN au sein du CNES.
Quel
besoin Ciel et Espace a-t-il eu de se départir soudainement de sa traditionnelle prudence et de son habituel sens de la mesure
? Voilà en tout cas une attitude très peu scientifique. Il serait intéressant de savoir si l'Association Française d'Astronomie
(AFA) cautionne cette dérive.
Ce
n'est certes pas la première fois qu'une revue à vocation scientifique s'emporte au sujet de la question des OVNI et son étude.
Que l'on se souvienne de certains articles de Science et Vie, notamment de celui paru en avril 1980 au titre évocateur : «
GEPAN donc je suis ». Mais ni l'article de Jean-François Haït, ni l'intervention d'Alain Cirou ne traduisent un énervement
ou un emportement. Ils semblent témoigner, au contraire, d'une longue préparation intellectuelle. On aimerait connaître leurs
réels sentiments au-delà de leurs propos.
Quelle
qu'ait été la nature du besoin, ce lamentable épisode éclaire d'un jour nouveau une revue jusqu'alors respectée. Il révèle
aussi que du traitement de l'information à l'art de la travailler par un journaliste professionnel, il n'y a qu'un pas à franchir,
plus ou moins grand et difficile selon les individus soucieux de l'objectivité scientifique.
François
Parmentier
Source:
http://www.lejdu.com/archives/2004/juin/fparmentier/index.htm |